mardi 25 mars 2008

La planète des sourds

Le premier qui dit : "des singes"... couic.

J'ai failli mettre "La guerre des mondes" en titre, mais c'était disproportionné par rapport à la réalité.

Oui, il y a plusieurs mondes dans la planète des sourds. En gros, il y a ceux qui signent et ceux qui oralisent. Il y a aussi ceux qui font les deux, comme moi, et ceux-là, on pourrait dire qu'ils sont dans un no man's land.

Je suis désolée d'écrire cela, mais de façon générale (après, chaque cas est particulier, cela va de soi), les sourds qui signent forment eux-mêmes un ghetto de sourds. Ils ont tendance à rester entre eux, à faire des activités entre eux, à boire entre eux, à faire du foot entre eux, à sortir entre eux, à se marier entre eux, etc.
En même temps, ils ont grandi entre eux, et ont suivi les mêmes cours dans les mêmes écoles spécialisées. C'est donc normal de rester dans un environnement qu'on connaît, où sont tous ceux qu'on connaît souvent depuis la maternelle.
Cependant, ce qui est dommage, c'est qu'ils restent ainsi fermés aux autres : aux entendants, et même aux autres sourds, ceux qui ne signent pas, ou pas assez bien, quasiment considérés par eux comme des "traîtres à leur statut de sourd". Heureusement qu'ils ne sont pas tous extrémistes comme ça.
En ce qui concerne leurs discussions, ce n'est pas toujours très élevé... Maintes fois on (on = des sourds, et oui) s'est plaint auprès de moi du fait que les sourds ne parlaient que de "qui sort avec qui", ou de foot, pour exagérer un peu, mais en gros, c'est souvent ça. Ça tourne vite en rond.

Cependant, à ce que j'ai remarqué, ils sont très sportifs, de façon globale (je fais tache à côté). Ils organisent des tournois de volley-ball l'été, et j'ai pu participer à un (il est inutile de préciser que je ne suis pas allée très loin dans les classements). C'était formidable de voir tout ce monde venu des 4 coins de la France, et même d'autres pays, comme la Belgique, la Suisse, qui se connaissait, ou qui faisait facilement connaissance. D'ailleurs, si dans la rue, on croise un sourd qu'on ne connaît pas, on peut se présenter à lui, et le tutoyer d'emblée, même s'il est bien plus vieux que soi. Et ça, c'est vraiment une bonne chose, je trouve. C'est normal, on est tellement peu nombreux en comparaison aux entendants.

Ils restent aussi entre eux, non seulement pour une question de confort, mais aussi parce qu'il n'est pas toujours simple d'aller vers les entendants, de communiquer avec eux, sans compter les mauvaises expériences qu'on peut avoir avec les entendants. Comme les moqueries parce qu'on signe comme des singes, ou parce qu'on parle mal, ou parce qu'on a un drôle d'accent, ou parce qu'on n'a rien compris et qu'automatiquement on est donc stupides, ou parce qu'on se ridiculise en répondant à côté, ou en faisant le contraire de ce qui était demandé, etc. Donc chat échaudé craint l'eau froide, et ça se comprend.

Ils n'ont pas eu la chance non plus de bénéficier d'une bonne scolarité, vu le niveau des cours donnés dans les écoles spécialisées, et le fait est que de plus en plus, les portes des voies générales leur sont fermées, même s'ils présentent un bon potentiel. Ceux de ma classe maternelle qui sont restés dans l'école spécialisée m'ont raconté comment ils étaient tous dirigés sans exception vers le BEP, le CAP, etc. Par les professionnels des écoles spécialisés eux-mêmes. Une fois, je m'étonnais qu'ils n'exploitent pas le potentiel de chaque enfant sourd, et on m'a expliqué qu'à cause de l'intégration, les écoles spécialisées tendent de plus en plus à disparaître. Ce qui n'est donc pas dans l'intérêt du personnel qui les peuple... Et comment éviter cela ? En prenant les enfants sourds en otage. En les handicapant encore plus.
Je dis ça, sous réserve de rectification.

Après, il y a les oralistes. Ils sont le plus souvent intégrés dans le cursus normal dès le CP. Alors ils baignent tôt dans le monde entendant, ceux qui parlent, et ils apprennent plus vite et mieux à parler et à maîtriser la langue française. C'est logique, pour bien parler une langue, il faut baigner dedans. De plus en plus de sourds obtiennent le bac, même s'ils sont sourds profonds, et de plus en plus arrivent au moins à la Licence en Fac. Mais de plus en plus aussi prennent la grosse tête...

Et c'est là que je vais parler de ceux qui font croire qu'ils sont sourds profonds. Ce sont ceux-là qui m'exècrent le plus. Comme je l'ai expliqué à quelqu'un qui s'étonnait de l'intérêt que cela pouvait leur apporter : Plus on se dit sourd, plus ça force le respect. Parce que pour arriver à un niveau scolaire intéressant et exceptionnel pour un sourd, il faut avoir énormément travaillé, être un minimum intelligent, et rien que cela, ça force déjà le respect et une grande admiration. Et si en plus, on parle bien, cela tient du prodige. Or, souvent, ce sont des faux prodiges.
Mais ce qui me fait mal quand ils mentent sur leur degré, c'est qu'en ce faisant, ils dénigrent et éclipsent le travail accompli par ceux qui sont vraiment sourds profonds. Et comme les sourds profonds parlent généralement moins bien qu'eux, on oublie tout le travail qu'ils ont accompli, toute la sueur qu'ils ont versée, toutes les heures passées à travailler pour s'améliorer. Et ça, ça fait mal.
Malheureusement, j'ai rencontré beaucoup (trop) de soi-disant sourds profonds... que je voyais téléphoner. Mais souvent, ce sont leurs propres parents qui leur ont dit qu'ils sont sourds profonds (mais ils aiment aussi à le croire tout seul, ça force le respect et l'admiration... forcément).

Et enfin, il y a ceux qui balancent entre les deux mondes, celui des sourds, et celui des entendants. Rien de particulier à dire, si ce n'est qu'ils sont peut-être les plus ouverts aux deux mondes, puisqu'ils ont la chance de les connaître tous deux. Mais avoir le derrière entre deux chaises est parfois une position un peu inconfortable.

Le monde des sourds n'est pas tout rose ! Mais j'avoue que je l'ai sans doute un peu trop noirci.

3 commentaires:

Kerty a dit…

Que de vérité!

Et j'ai appris! je ne savais que partiellement l'histoire des faux sourds profond..

sans doutes, les parents voient le problèmes dans l'autre sens
"sans ses appareils, c'est un vrai sourd!!!"
bah oui, mais avec leurs appareils, ils poussent l'amélioration de leur audition jusqu'au point de téléphoner, de comprendre quelqu'un , donc, uniquement en l'ENTENDANT

alors, comprendre des paroles précises en entendant.. c'est pas ce qu'on peut appeller une surdité profonde!


Comme toi, je ne comprends pas non plus la gueguerre sourd-malentendant, voir sourd-signeur, sourd-oraliste (résumé très court bien sur)
Je n'arriverai jamais à comprendre le comportement du "oh, c'est pas un vrai sourd comme nous celui là! il n'a rien à faire avec nous!"

Se fermer aux cultures n'a jamais apporté quoi que ça soit de bon! rappellez vous le mur de berlin, la grande muraille de chine! des constructions immenses nées de la main de l'homme pour se couper au reste du monde... et ils ont été détruit!
A quand la destruction des barrières entre nos mondes? A quand des cours de langue des signes dans l'enseignement dit "normal"? A quand la popularisation de cette langue, qui pourtant est extraordinairement pratique? (parler à travers des vitres de train, parler dans une discothèque sans avoir a crier
- "TU VEUX UN VERRE DE VODKA??"
- "OUI, MOI AUSSI J'AI UN PEU FROID!!!

J'espère qu'un jour, toute la population se mêlera (enfin plus, parce qu'il y aura toujours des gens pour qui la surdité n'apporte que peu d'intérêt)

Zol a dit…

Ca me fait penser qu'il faut que j'explique la différence entre "entendre" et "comprendre".

Sinon, c'est beau ce que tu as dit :p

Gilla a dit…

Ce que j'ai à dire là-dessus, c'est que le monde des sourds n'est pas si noir que ça.. simplement qu'il y a des avantages et des inconvénients partout, tout comme le monde des entendants. Puisque dans les deux mondes, j'ai eu ma part de souffrances, mais aussi ma part de joies.